Une définition vue comme une bride…
Après plus de 35 ans de pratique, je ne sais toujours pas définir précisément l’Aïkido. C’est grave docteur ?
Oui, quand même ! Surtout quand on l’enseigne !!!…
Mais après réflexion, définir c’est fixer, rigidifier, verrouiller par des mots, imposer des certitudes. Et là, je ne peux pas le concevoir surtout pour l’Aïkido.
D’ailleurs lorsqu’un individu, quelque soit son domaine, m’arrive gonfler de certitudes, mon allergie me reprend… On le sent malheureusement sur les tatamis quelque soit le grade. Mais il est navrant que les certitudes persistent dans les crânes au delà de la ceinture noire. La pratique aidant plutôt à éthériser plutôt que d’accumuler, il est dommage que certains soient autant chargés d’assurance dans un domaine où précisément le doute est facteur de progrès.
En effet, peut-on définir efficacement la Vie?…, l’Amour?, l’Harmonie?…
Dès lors qu’on doit évoquer quelque chose d’immatériel, touchant aux sensations, les mots vont vite scléroser, brider et surtout réduire à leurs seules maigres définitions. Bien que la langue française soit assez riche, tenter de définir un art touchant à tellement de domaine que les senseï répondent eux-mêmes;
« L’Aïkido ne s’explique pas, il se pratique… »,
comment peut on prétendre à donner la juste définition de l’Aïkido?.
En se servant d’un tout autre sujet, Certains pédopsychiatres et spécialistes en PNL sont d’accords pour dire qu’à sa naissance, un bébé est un véritable « magicien ». Il est capable de tout interpréter. Jusqu’au jour où il sera bombardé de nos informations elles mêmes déformées de nos « lunettes ». Lui, ce « petit d’hommes », il se fait sa propre idée de la vie jour après jour, sans aucun apriori ni arrières pensées, mais avec le plus pur optimisme et positivisme. Il apprend chaque seconde de et par lui-même grâce à ses 5 sens, et s’accapare les informations selon ses propres expériences de tous les jours de la vie et de tout ce qui constitue son espace.
Jusqu’au jour où l’on va lui apprendre, lui installer brides ou garde-fous et lui imposer: le « bon et le pas bien », que le noir est l’opposé du blanc, maman est gentille ou pas gentille. Ça c’est beau, ca c’est moche, Finir intégralement son biberon sera gratifié d’un bisou, Que « Ça » c’est interdit par contre cela est autorisé ici dans ce pays où tu n’as pas choisi de naître. Qu’il faut prier ce Dieu mais pas un autre, parce que… c’est comme ça !…
L’aïkido possède cette qualité de pouvoir être perçu d’autant de manières qu’il y a d’individus le pratiquant. Un de mes anciens élèves parlait d’Auberge espagnole lorsqu’il définissait l’Aïkido.
Dès lors qu’on l’aura affublé d’une définition, cette dernière parlera pour certains mais laissera bien pensifs d’autres.
L’aïkido n’a même pas de forme car il prend la forme de celui qui va attaquer l’Aïkidoka.
Ce n’est donc pas facile de se donner des points de repère. C’était surtout la sensation que devaient avoir les premiers élèves du fondateur. Lorsque O senseï Ueshiba pratiquait, il était l’Aïkido.
La création d’une méthode pour apprendre, il l’a confiait à son fils qui a dû fortement structurer derrière. Garder certaines techniques et les déclarées « fondamentales », retirer certaines autres (par exemple les sutemis) pour ébaucher un programme afin de rentrer dans le moule des grades. Chercher une conformité devenant des techniques académiques et universelles. Les instances, les fédérations ont dû remettre des définitions, écrire des buts officiels pour entrer dans une conformité. Mais là encore, plus on parle moins on fait et moins on intègre sa grandeur de l’art par nos sens…
On constate que plus on pratique avec la tête plus on a tendance à compliquer et s’écarter des instincts réflexes. Aujourd’hui, on va entrer en conformité avec l’Éducation Nationale et satisfaire au principe des Unités de Valeurs. On va devoir disséquer, tronçonner l’Aïkido pour obtenir son grade
Afin de prétendre juger des dan(s), ont doit donner au préalable aux juges, des principes sélectifs académiques à rechercher afin qu’ils puissent trouver les critères observables communs. Mais lorsqu’il s’agit de deux fédérations avec critères différents, ça se complique!
Le pratiquant devra donc malgré tout s’y conformer, entrer dans le moule, et faire valider chacun de ces critères afin d’ être reconnu par ses paires.
Il est vrai qu’il faut bien verbaliser les bons points des mauvais (ou inversement…) afin de progresser et se structurer, cela fait partie de notre culture scolaire. Jusqu’au 1er dan (ceinture noire), il faut effectivement apprendre les codes, le vocabulaire spécifique, les attitudes types, le rituel, l’alternance des rôles, les enchainements, les formes d’attaques stéréotypées…
Mais le fait qu’on ait pu pratiquer un bel Aïkido se passe intimement entre les deux partenaires. Le seul juge sera le « Nous » que nous aurons formé le temps de la technique.
Ce sera la magie de leur rencontre (entre Uke et Tori), l’adaptabilité, la manière de fusionner le temps de l’échange, la maîtrise de la puissance, comment la prise de contact a eu lieu et comment elle s’est rompue. Et entre temps comment la fluidité a été maintenue, comment l’NRJ a t elle été guidée…Oui, il est question d’une véritable magie, tout comme celle qui provoque la vie et qui la retire.
Et même si la science peut s’escrimer à la définir, il faut laisser cette part d’indéfinissable à la notion liée à la vie comme à l’Aïkido, l’Amour, l’Harmonie…
Car, comment effectivement définir ces grands domaines sans en oublier l’essentiel et occulter ce qui est fondamental pour certains, mais superficiel pour d’autres? Est ce que tout doit s’expliquer?
Même si, on le voit sur les vidéos, l’Aïkido d’ O senseï était d’une pureté indiscutable, il a laissé, non pas une méthode mais un chantier énorme qui n’est pas prêt de finir. L’ Homme ayant une capacité de créativité tant imprévisible, que l’avenir de cet art laissera encore de belles perspectives.
Alors lorsqu’on répond de façon lapidaire; « La Voie de l’Harmonie des Énergies » est ce qu’on a tout dit? A t-on fait le tour de la question? A t on satisfait les plus curieux?
Personnellement cette vague définition, puisqu’elle l’est me convient comme ça. Elle laisse l’imaginaire du curieux ou de celui qui serait tenter d’entrer dans la Voie, intact… libre d’interprétation personnelle et ne réduit en rien la grandeur de l’Aïkido.
PB