Et Uke ? on en parle ?
Faisons le point.
Lorsque l’on suit un stage d Aïkido, quel qu’il soit, et au sein de chaque club également, le sensei (même ceux de l’Aïkikaï de Tokyo), pour lui, la part de Tori est la principale sinon la seule préoccupation. On y apprend justement, presque exclusivement comment réaliser au mieux Ikkyo, Irimi nage, jouer du MA AI, tourner un poignet…
Mais quid du rôle essentiel d’Uke ?
Et pourtant, il n’y a pas de belle technique harmonieuse sans une belle frappe engagée. Pas moins de projection idéale sans saisies efficaces. D’autre part, aucune belle complémentarité entre partenaire n’est possible dans les osae waza sans une arrivée au sol correcte. On ne conçoit pas les nage waza si Uke ne sait chuter avec intégrité dans le bon timing.
On constate par contre que nos sensei préfèrent choisir leurs et fidèles bons chuteurs pour démontrer leurs techniques et encore plus s’il s’agit de démonstrations. Prendre un mauvais chuteur risque de les mettre en difficulté.
Bien souvent un débutant n’etant pas encore «formaté », il peut avoir de mauvais réflexes incontrôlés ou en tout cas, imprévisibles. Il est donc plus confortables pour le professeur d’inviter un Uke aguerri. Personne ne souhaite se mettre en difficulté devant un public et on les comprend. Toutefois, de rares sensei, les plus à l’aise avec leur pratique, savent inviter des Uke quelque soit leur niveau. D’autres, encore moins nombreux, s’aventurent à faire Uke au milieu de la foule de stagiaires…
Donc à nous tous de peaufiner ce rôle qui est malheureusement confondu bien souvent avec un « agresseur » finissant en victime, le faire valoir de Tori, le sparing partner ou tout simplement et plus vulgairement ; « celui qui perd à la fin »…
Finissons-en définitivement avec cette fausse image.
Rappelons qu’une de nos importantes singularités est la non-compétitivité. Il n’y aura aucun gagnant ni perdant à l’issue des échanges. De plus, les rôles seront interchangés.
Durant un cours d’une heure et demie en moyenne, nous aurons pratiqué autant en tant qu’Uke que de Tori tout les quatre cycles.
Il n’y a pas un rôle plus important que l’autre. Mais effectivement, sauf graves erreurs d’attaques, lors des passages de grades nous ne seront jugés que sur le rôle de Tori.
Les techniques sont pourtant relativement simples. A la longue, avec force de répétitions, le corps et le cerveau vont pouvoir intégrer les 18 techniques que compte le travail de Tori. Bien entendu, je simplifie et ne parle pas de toutes les subtilités des déplacements et des critères en intégrant les notions d’AWASE, de MA AI, KIMUSUBI, j’en passe et certainement des meilleurs.
Mais rien ne sera réalisé avec subtilité sans attaques ou saisies produites avec détermination, engagement voire hargne… Pas de suivi correct sans pugnacité, éveil, réactivité, présence effective et continue coté Uke.
Les frappes sont réelles et non simulées. Mais elles doivent être parfaitement rodées. En Aïkido elles sont limitées à Shomen, Yoko et gyaku yokomen, Tsuki. Rarement les jambes avec mae geri ou yoko geri. Il est bon de s’entrainer sur un mannequin ou un partenaire statique. Frapper dans un mur protégé ou sur des paos ou encore un makiwara donne une meilleure sensation d’un impact réel. Le bon alignement des segments doivent assurer une sécurité des ligaments et articulations.
Rester authentique
On le constate parfois chez des anciens qui veulent trop en faire, il ne faut pas surjouer les attitudes ou réactions d’Uke. Faire semblant ou trop en faire ridiculise la discipline. Il ne faut pas non plus se victimiser mais rester authentique et naturel. La meilleure nature à adopter et rester omniprésent, concentré, réactif et déterminé.
Et les chutes, parlons des chutes …
Se recevoir au sol ça ne s’arrête pas à la maîtrise de la seule chute avant ou arrière. Ukemi s’est tout un art à lui tout seul. Savoir se recevoir au sol, tomber mais surtout savoir se relever pour poursuivre le travail d’attaque et de vigilance. Et puis il y a la chute plaquée, enlevée, « tampon buvard ». En arrière Ushiro ukemi. On peut la plaquer ou la rouler.
Et le tout en pleine sécurité sans aucune douleur et, cerise sur le gâteau, en silence et en souplesse.
Oui, Ukemi c’est tout un art à part entière. Ca ne s’acquière pas en quelques mois. C’est parfois ce qui rebute le débutant malheureusement. Cette apprentissage doit être distillé astucieusement par le sensei pour ne pas dégouter… Mais il y a tout de même des fan de chutes heureusement.
Concernant la chute avant Mae ukemi ;
Bien qu’au tout début, on apprenne à poser la main devant soi, on ne pensera qu’à elle plusieurs années jusqu’à ce qu’un professeur vous fasse observer que le coté du corps le plus important est celui qui va nous recevoir au sol donc l’opposé. Bien entendu, ranger sa tête, éviter l’impact du coude, de l’épaule, du bassin ou du genou sont primordiaux. Mais une fois ces prises de consciences acquises pour la sécurité, Mae Ukemi doit évoluer pour l’affiner. La puissance de projection est importante.
Ushiro ukemi
On peut se recevoir en arrière en plaquant ou en roulant. Le tout est de protéger nos articulations. Les zones sensibles sont la tête le coccyx, les coudes, le dos. Le corps doit être tonifié, et percu comme une coquille. Toutes les zones énoncées ne doivent pas être impactées. Le brise chute est nécessaire afin de créer une onde de choc qui précédera l’arrivée au sol.
Un Ukemi n’appartient qu’à Uke.
Ne pas attendre après Tori pour assumer la responsabilité d’une bonne chute. Tori dirige le flux set donne uniquement son top départ. La technique de chute et sa réussite n incombe qu’à Uke.
Lors d’une chute enlevée, le placement des jambes est essentiel. Lorsqu’on chute on ne doit pas chuter en fonction du sol mais par rapport à son Tori. Le regard est important et l’on doit sans cesse se diriger vers Tori.
Pourquoi surveiller un tatami ? Il ne va se déplacer, il n y a ni de nids poule, pas moins de dos d’âne ni de trottoir de crotte de chien de chausse trappe ou cailloux qui nous attendent. Je dis souvent « qu’il n’y a pas de trésor caché sous le tapis car j’ai déjà cherché avant vous ».
Il va falloir doser la propulsion. Le « trop étant l’ennemi du bien », on va devoir jouer avec l apesanteur et subir les lois de la gravité. On va quitter une demie-seconde le rassurant plancher des vaches. Pour certains, c’est un moment de panique dans le lâcher prise avec le sol. Mais convenons que pour éviter de tomber lourdement et proportionnellement à notre poids, il va falloir se lancer. A l’image du cyclisme, monter sur le vélo sans pédaler et voué irrémédiablement à se coucher sur le coté. Il en est de même pour la chute avant sans propulsion.
Il ne faudra pas hésiter à remettre plusieurs fois le cœur à l’ouvrage. Rechercher sans cesse à s’améliorer, corriger, affiner.. Savoir passer par talonnements, d’échecs en erreurs puis aller vers la finesse et trouver brusquement le plaisir. Tel une évolution de satori en satori, en découvrant au hasard de nos recherches, la meilleure manière de chuter.
Prenez plaisir à attaquer, à chuter, puis poursuivre….
Patrick Belvaux