Apprendre à visualiser et analyser en zoomant autant qu’en se positionnant en « méta »
« Travailles dans le mou, pas dans le dur ! »
Un conseil lapidaire surprenant et déstabilisant glissé dans l’oreille entre deux techniques, par mon maître en Aïkido !
Je n’y ai rien compris sur le moment… Puis, longtemps après l’avoir digéré tout m’est paru très clair.
En Aïkido, effectivement, on n’agit pas sur le bras armé, encore moins sur l’arme elle-même (ce n’est pas elle qui est dangereuse mais l’individu qui la dirige). En Aïkido, on n’ agit pas en force sur le partenaire, ni tirer ni pousser… Mais on doit investir le vide, chercher toutes les opportunités autours de l’attaque sans agir sur elle directement. Visualiser les vides, investir l’espace.
Mobiliser au maximum notre propre corps sans forcer sur celui du partenaire…
C’est une des caractéristiques de l’ Aïkido et ce qui en fait sa particularité, la beauté et la finesse de cet art martial, seul dépourvu de toute compétition.
Mais cette notion est bien plus riche en fait… Car elle est universelle, pour peu qu’on désire rechercher la qualité dans ce qu’on fait au quotidien, trouver autours de nous ou chez l’autre, le détail qui révèle d’importantes et parfois essentielles informations sur ce qui nous entoure mais aussi sur ceux qui vivent avec nous..
Savoir lire entre les lignes, savoir observer la globalité des informations, mais également découvrir les détails… Ne plus s’ arrêter à la seule information principale. Jouer de la focale… Zoomer jusqu’à la macro ou ouvrir et élargir au maximum l’objectif…
Je regardais un dessin animé à la télévision en le trouvant vraiment nul lorsque mon fils m’informe brusquement : « pour moi, il y a un gros travail technique dans cette anim, toutefois le scénario est grotesque! »
Bien entendu, selon nos sensibilités, un film, un ouvrage peut être perçu différemment, et provoquer des réactions parfois radicalement opposées, on le sait tous. Mais mon fils étant spécialisé en animations, (chef en effets spéciaux) ses yeux sont exercés à capter les détails techniques. Il s’est attaché, lui, aux textures, à la fluidité des images qu’il met en œuvre lui même quotidiennement sur son pupitre.. Moi, je n’étais attentif au seul scénario, à l’intrigue, et aux répliques des sujets..
Je ne suis pas spécialiste en peinture, mais j’ai une admiration envers les critiques d’art qui s’extasient sur les sombres/obscures, le sfumato, ceux qui mettent des mots sur les nuances pas évidentes pour un profane, à déceler du premier œil…
Ils se sont exercés à l’observation du moindre détail pour nous y sensibiliser à notre tour…
Dans un autre domaine, je me suis récemment intéressé à la photographie. Jusqu’à présent, mes propres photos étaient des plus classiques. Ne visant que des photos de groupe, ou de jolis paysages… Aprés les avoir stockées, je n’y attachais plus un grand intérêt, il faut le dire… J’ai pris conscience qu’une observation fine au préalable de la prise du cliché, permettait la sélection qui apportait une vraie qualité et offrait du sens à l’image. On arrivait parfois à forcer l’interrogation de l’observateur en touchant sa propre sensibilité ou imagination. S’intéresser en décalage… ne pas se faire accaparer par le sujet principal. Rechercher le détail, le filet de lumière, une posture originale, un détail anachronique. provoquer un flou permettant une mise en valeur.. S’exercer à l’observation et ne plus se faire happer par la banalité du sujet ou l’évidence du message principal pré-maché destiné à un public de consommateurs.
en consultation, lors de l’ Anamnèse, les spécialistes tels que sophrologues, coachs, psychothérapeutes… doivent s’exercer à entendre entre toutes les infos que le client dévoile, les messages non verbaux, changement de timbre de voix, troubles discrets, émotions, changement de tain de peau, hésitations, ou à l’inverse, véhémences des propos… informations bien plus parlantes que les seuls mots diffusés.
Il lui faudra alors demander plus de détails autours des indices perçues…
Ma fille, ostéopathe, outre la prise en compte du mal de son patient, procède, volontairement et en automatique, à l’écoute fine des messages non-verbaux (focalisation). Elle se transpose également par le jeu de questions subtiles, dans l’environnement et les habitudes quotidiennes de la personne (dé-focalisation). Ceci afin de ne pas subir l’effet tunnel. « J’ai mal au dos », n’est peut être pas dû à un disque vertébral, ou une vertèbre elle même, mais peut être dû à la manière de s’asseoir, de se tenir debout, provoqué par un stress actuel ou continu, une simple constipation, un manque de sommeil…
Il en est de même lors d’un interrogatoire policier. L’œil et l’oreille doivent être exercés au delà des informations formelles. L’intuition n’est pas loin, elle est même là, et il faut savoir l’ écouter et suivre ses intuitions…
On retrouve l »effet tunnel évoqué plus haut dans de nombreux contextes professionnels. Le pilote de course ne doit surtout pas se focaliser sur le cône de signalisation placé le long de la route mais doit diriger son regard au plus loin là oû il désire aller pour piloter son véhicule.
Dans un autre contexte, le policier engagé en intervention dans un milieu hostile doit élargir sa vue lors de sa progression dans un site inconnu. Le danger imminent n’est peut être pas seulement localisé sur l’individu armé face à lui mais dans un angle de porte situé tout près de l’intervenant.
Dans un tout autre contexte, les différends entre entre couples proviennent très souvent, on le dit, du fait que « l’homme vient de Mars, la femme de Vénus »… A l’époque ou une sonde nous apporte aujourd’hui des révélations inestimables sur nos origines par l’analyse d’une comète à des millions de kilomètres de la terre, l’Homme et la femme sont parfois (trés souvent) incapables de comprendre les aspirations de l’autre et ce, depuis la nuit des temps… SI personne ne fait« l’effort » de décrypter, ou de devenir un véritable « écoutant », il y aura toujours des différends familiaux les WE ou les jours fériés, moments ou les couples se retrouvent sur une longue durée et se sentent brusquement incapables de la moindre concession, parce que non exercés à l’observation et l’analyse des messages d’autrui…
Quelque soit, le domaine ou la spécialité, il s’agit de savoir développer une sensibilité, une capacité à percevoir. Cela peut être mené comme un jeu… s’amuser à fouiner… Cela demande surtout des qualités d’altruisme, d’envie de comprendre, savoir développer en soi la recherche systématique d’ indices. Tel un enquêteur.
Pour en revenir à l’ Aïkido, on peut pratiquer toute sa vie et arriver à un certain grade sans avoir eu la moindre perception décrite ici. Travailler directement sur ce que l’on voit, le bras armé, imposer à l’autre un travail en force en le repoussant,ou le tirant grâce à nos muscles. En fait, n’avoir rien compris à l’essence même de cet art…
On pourra toujours dire toute sa vie lors de l’observation d’un tableau, d’un film, de la Nature ; > « oh, c’est beau !! » sans pouvoir dire pourtant quels détails subtils nous en donne ce ressenti…
Apprécier, créer, produire, découvrir, aider efficacement passe par la qualité d’écoute, d’analyse… SI elles ne sont pas innées, elles s’acquièrent par une étude volontaire et l’utilisation de tous nos sens, fonctionnant « en automatique « à la longue.
On peut donc passer toute sa vie à coté d’évidents messages plus ou moins cachés, en étant incapables de découvrir, ou bien alors, vivre en jouissant pleinement de toutes nos capacités et de tout ce que peut nous offrir la vie… Ici, ce choix nous incombe.
Il suffit, quelque soit le contexte, de « jouer de la focale ».
Parfois se mettre en « méta-position », parfois s’attacher au détail…
PB